Pourquoi la pornographie est mauvaise pour les adolescents ?
Banalisées par Internet et les téléphones portables, les images pornographiques sont pour certains ados la première vision qu’ils ont de la sexualité. Avec le risque de considérer cela comme la norme et d’oublier la dimension relationnelle et émotionnelle de l’amour.
Difficile aujourd’hui d’échapper aux images pornographiques… Elles sont accessibles facilement, gratuitement ou presque, et souvent sans contrôle d’âge. Ainsi, selon une enquête menée en France en 2004 , 80% des garçons de 14 à 18 ans et 45% des filles du même âge déclarent avoir vu au moins une fois un film X durant l’année passée. Si les filles l’ont vu principalement à la télévision, les garçons l’ont visionné aussi en vidéo et sur Internet. Ils sont d’ailleurs plus « gros consommateurs » : près d’1 garçon sur 4 contre 1 fille sur 50 en a vu au moins 10 dans l’année.
Les garçons expriment une opinion plutôt positive, disant que cela les amuse, les distrait ou leur est utile, alors que la plupart des filles se disent mal à l’aise, voire choquées ou dégoûtées. Avec la diffusion de plus en plus large d’Internet et des téléphones portables dès la sixième, l’exposition des enfants commence de plus en plus tôt. Un peu plus de la moitié des jeunes de 9 à 17 ans a aujourd’hui accès à Internet sans contrôle parental ; or 46% d’entre eux n’ont pas conscience des dangers qu’ils courent. Ils passent en moyenne 1 heure 45 par jour sur la toile, seuls face à l’écran pour 64% d’entre eux.
Une vision déformée de la sexualité
La pornographie donne une représentation fausse de la sexualité et des attentes réelles des hommes et des femmes, que l’adolescent risque de prendre comme la norme à laquelle il doit se conformer, surtout s’il n’a aucune expérience de la sexualité. « L’adolescent est un enfant avec un corps d’adulte, il n’a pas terminé son évolution sur le plan psychique. À l’intérieur de lui, il y a du sentiment, de l’affectif, et ce sont ces qualités qu’il faut privilégier, car c’est avec cela qu’il va pouvoir grandir dans sa tête et dans son corps. Le risque de la pornographie, c’est la perte de valeur et de son propre imaginaire », explique le Dr Sylvain Mimoun, gynécologue andrologue et psychosomaticien.
Regarder des films porno soumet les garçons comme les filles à des diktats qui freinent le développement d’une sexualité personnelle selon leurs vraies envies. Les garçons s’inquiètent face aux performances surdimensionnées des hommes. Ils vont penser que faire l’amour est une domination, qu’ils doivent soumettre la fille… Au risque d’un complet fiasco parce que la partenaire refusera cette violence et cette domination, et ne réagira pas comme dans les films. Ce qui peut amener le garçon à perdre confiance en lui. « Ils s’imaginent que la femme est immédiatement disponible, qu’elle va jouir dans la seconde, capable de supporter un certain nombre de choses sans égards pour elle, pour son corps, sa sensibilité… C’est dramatique ! », commente le Dr Anne de Kervasdoué, gynécologue. « Quant aux filles, elles ont en gros deux types de réactions. Certaines vont se sentir étrangères à l’excitation masculine et traitées en simples objets de plaisir, ce qui les blesse durablement. Ou bien dès 14-15 ans, elles vont croire que la vraie féminité, c’est de jouer le même rôle soumis et humiliant que dans ces films. Au lieu de s’intéresser à ce qu’elles ressentent, elles vont penser que pour être un « bon coup », il faut être capable de faire une fellation, d’accepter une sodomie ou telle ou telle pratique », détaille le Dr Sylvain Mimoun.
Des adolescents plus précoces
Dans les statistiques, on annonce depuis des décennies que rien de change et que le premier rapport a toujours lieu autour de 17 ans… Mais elles reposent sur des déclaratifs et ne sont pas d’une grande fiabilité. L’âge du premier rapport serait en réalité autour de 15 ans, à en croire les gynécologues qui voient les jeunes filles pour une première contraception. C’est une moyenne, certains commencent plus jeunes ! Toutes les conditions sont réunies pour que ce soit le cas : un climat de sexualité affichée dans la société et beaucoup moins de tabous qu’avant. Certains jeunes se mettent en scène sur Facebook, partagent avec leurs copains des photos ou des vidéos osées via leur blog ou leur téléphone portable… Le « dedipix » et le « sexting » font de plus en plus parler d’eux.
Avec le « dédipix » (contraction de « dédicace » et « pixel », des adolescentes écrivent une dédicace sur une partie de leur corps et diffusent la photo sur leur blog en échange de « coms », un système de points (100 « coms » pour un message sur le bras, 200 sur le décolleté, 300 sur une cuisse écartée…) Le « sexting » va encore plus loin : il consiste à envoyer via le téléphone portable des vidéos osées, voire pornographiques, où les adolescents se mettent en scène ou se vengent de leurs anciens petits amis en les montrant dans des poses compromettantes… En France, 14% des 12-17 ans auraient déjà reçu des messages à caractère sexuel de la part de leurs camarades. « On voit même des jeunes filles de 13 ans filmer leurs premières relations sexuelles et les diffuser via leur téléphone portable », raconte Dominique Delorme, responsable de la ligne Net Écoute.
Ouvrir le dialogue avec son ado
Sachant que les enfants et les ados ont aujourd’hui accès à la pornographie très facilement, les médecins conseillent aux parents un temps de discussion sur le sujet, pour que les jeunes ne se méprennent pas sur la réalité. Jusqu’à 12-13 ans, on peut poser clairement les limites en disant qu’on n’est pas d’accord pour qu’il regarde ce type d’images. Il est conseillé d’installer un logiciel de contrôle parental, mais cela ne remplace pas la vigilance des parents. Ainsi, il est préférable d’installer l’ordinateur dans une pièce familiale et non une chambre, pour surveiller son utilisation sans l’interdire.
Il faut encourager le jeune à poser les questions qu’il peut avoir sur la sexualité et adopter une attitude bienveillante sans jugement moral pour qu’il ose se confier. Il est important qu’il apprenne comment l’autre sexe fonctionne, qu’il découvre qu’il est normal d’avoir du désir sexuel, qu’il existe différentes orientation sexuelles, etc. Une mère aura plus de facilité à parler à sa fille et un homme a son fils ; mais le point de vue du parent de sexe opposé apporte un plus. Et pour dissiper la gêne, qui est naturelle de part et d’autre, mieux vaut adopter un ton léger et souriant !
« On peut expliquer à sa fille qu’il ne faut pas tout accepter sous prétexte qu’un garçon lui plaît beaucoup, pour qu’il reste avec elle. En fait c’est l’inverse qui va se passer, il va se servir d’elle comme d’un objet. Pour se faire respecter, il faut oser dire NON, conseille le Dr Christian Spitz. Quant aux garçons, on peut leur apprendre à ne pas avoir peur de la sensibilité et de la douceur qui est en eux, qu’ils n’ont pas besoin d’être « machos » pour séduire, bien au contraire ! »
3 questions au Dr Christian Spitz, « Le Doc » pédiatre
« On ne s’épanouit pas sexuellement parce que l’on a tout fait et tout essayé ». Quels sont les dangers de la pornographie pour les jeunes ?
La pornographie présente la sexualité comme une performance et en donne une image qui ne correspond pas à la réalité, avec des pratiques marginales (sodomie, violence, relations à plusieurs…) qui ne sont pas nécessaires à un épanouissement sexuel. Pour les garçons et les filles pré-pubères, avant 13 ans, certaines images accessibles sur Internet ou sur les téléphones portables sont particulièrement choquantes. Elles peuvent perturber les plus fragiles qui n’ont pas assez de points de repère dans leur famille. Le danger est que cela soit considéré comme une norme, au lieu de découvrir la sexualité par la dimension affective.
Quel est le rôle de la société et de l’école ?
La société actuelle véhicule beaucoup de violence, dans les films, les jeux vidéos, et les ados ont souvent une attitude de toute-puissance, surtout si leur éducation ne leur a pas appris la frustration. L’éducation sexuelle dans les collèges et lycées varie beaucoup d’une région et d’un établissement à l’autre. Elle n’a pas assez évolué et reste trop centrée sur les aspects « mécaniques » de la sexualité : reproduction, prévention des grossesses non désirées et des MST… Et pourtant, les deux tiers des filles inscrites en classe de troisième pensent qu’il n’est pas possible de tomber enceinte lors du premier rapport sexuel ! Mais surtout, l’aspect relationnel, affectif et sensuel est complètement oublié, ce qui est vraiment dommage.
Quels conseils donneriez-vous aux parents ?
Sachant que la majorité des ados ont été ou seront exposés à des images pornographiques, cela ne sert à rien d’interdire… Mieux vaut être ouvert au dialogue sur la sexualité, exprimer clairement ses valeurs (respect de soi, de l’autre, de la femme, non-violence…) et expliquer que la relation sexuelle peut être belle et agréable si on ne fait pas n’importe quoi, avec n’importe qui et n’importe comment. L’amour, ce n’est pas la pornographie, dont les scénarios sont pauvres et ringards ! Ne jamais poser non plus à votre ado de questions directes sur sa sexualité ou lui parler de votre propre sexualité : à chacun son intimité !
« Les hommes accros au porno sont moins satisfaits dans leur couple »
Interview du Dr André Corman, médecin sexologue à Toulouse
Si les ados ont accès à des images porno, c’est encore plus facile pour les adultes, surtout sur le Web.
Selon une étude américaine de 2004, 33% des internautes consultent des sites pornos. En France, le portrait type du « consommateur de porno » sur Internet a été dressé dans une étude en 2005 : c’est un homme de 18 à 35 ans, célibataire ou étudiant, qui a un niveau d’études supérieur, un revenu plus élevé que la moyenne et habite en ville.
Les films porno donnent une image de la sexualité dénuée d’affect. La femme est totalement accessible, a toujours envie, l’homme est sur-performant… Le risque est de prendre cela pour argent comptant, alors que les acteurs trichent, ils prennent des médicaments pour prolonger l’érection, ils n’éjaculent pas… Un jour, un harder est venu me consulter parce qu’avec sa copine, il était éjaculateur précoce !
D’après une étude menée en Italie en 2000, 68% des hommes accros au cybersexe ont une baisse de l’intimité sexuelle avec leur partenaire. Ils sont émotionnellement détachés, moins satisfaits de l’apparence de leur conjointe, de leur relation, de ce qu’ils font ensemble au lit… Certains inventent même des excuses pour éviter la sexualité. Cela dit, il faut dédramatiser la pornographie chez les adultes. Elle peut combler un manque lorsqu’on est seul, avoir un effet stimulant pour certains couples, et même éviter certains passages à l’acte en limitant les fantasmes au petit écran.